Photo S3V
Le 29 septembre 2021, au cours d'une procédure de tests annuels obligatoires, le téléphérique de la Saulire, appareil emblématique de la célèbre station savoyarde, est victime d'un accident spectaculaire, entraînant des dégâts très importants.
Après une période d'incertitude quant à sa réouverture, suivie de longs mois d'étude et de réflexion, le géant est enfin prêt à renaître dans une version entièrement modernisée, dotée des dernières technologies et innovations.
Courchevel : la renaissance d’un géant
Si elle fait trop souvent parler d'elle pour ses frasques, ses paillettes et son bling-bling assumé, Courchevel reste d’abord et avant tout une station de ski offrant un domaine d’une rare qualité, tant par la diversité de ses pistes et de ses nombreux versants, en forêt comme en altitude, que par le soin apporté à l’entretien de ses hectares de neige, qui offrent ainsi chaque matin un plaisir renouvelé à ses clients, le tout intégré au plus grand domaine skiable relié du monde : les Trois Vallées
Courchevel est aussi, même si cela se sait peu, une station pionnière qui a marqué l’histoire du ski mondial, puisqu’il s’agit de la toute première station créée ex-nihilo, et ce dès 1946. C’est aussi ici qu’ont été inventés, dans les années 50, sous l’impulsion d'Emile Allais et de Jean Catellin, la notion de service des pistes et le métier de pisteur-secouriste, Emile Allais aimant à répéter que la gestion d’une station de ski ne se limite pas à s’occuper de remonter les clients, mais d’abord à leur offrir une expérience de descente la plus irréprochable possible.
Fidèle à cet esprit d’innovation, la station ouvre en décembre 1984 celui qui est alors le plus gros appareil de ce type jamais construit au monde : le téléphérique de la Saulire, équipé de cabines de 160 places (+1 pour le cabinier), réalisé par l’entreprise française Pomagalski.
Photo B.Détard
Ce jumbo des neiges remplace alors un autre téléphérique, devenu vétuste et avec un débit inapproprié au standing de la station, fourni par le constructeur Neyret-Beylier (disparu depuis), et qui permit à Courchevel d’ouvrir à ses clients le sommet mythique de la Saulire, dès 1952.
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Frappé par le destin
Mais après des décennies de bons et loyaux services, cet appareil iconique de la station va être victime d’un accident spectaculaire, le mercredi 29 septembre 2021, au cours de la visite annuelle réglementaire (opération de maintenance obligatoire) qui se fait bien évidemment hors exploitation et hors la présence du moindre passager.
C’est lors d’un test en charge extrême, poussant l’appareil à ses limites, que les deux cabines vont arriver au niveau de leur station respective à une vitesse très importante (estimée à 8 m/s soit 30 km/h), entrant alors en collision avec les structures des gares. Les deux véhicules sont très endommagés : en aval, la cabine s’est encastrée sur environ 1,50 m, tandis qu’en amont, l’autre cabine est restée coincée dans la structure de la gare, pliant son châssis et sa suspente. Les attaches au câble tracteur des deux cabines sont également touchées.
Photo B.Détard – Octobre 2021
Photo B.Détard – Octobre 2021
Photo B.Détard – Octobre 2021
Photo B.Détard – Octobre 2021
Photo B.Détard – Octobre 2021
Photo S3V
Après analyse à l’aide de scan 3D, la structure des gares apparaît elle aussi touchée, nécessitant au final des travaux de grande ampleur pour espérer ré-ouvrir le téléphérique à la clientèle.
Heureusement, il n’y a que de la casse matérielle et aucun blessé n’est à déplorer. Très rapidement, des scellés sont posés, une enquête judiciaire est ouverte, et de nombreuses investigations sont menées par les assurances concernées, le STRMTG (Service Technique des Remontées Mécaniques et des Transports Guidés) ainsi que par le BEA-TT (Bureau Enquête Investigation – Transport Terrestre), afin de déterminer avec précision les différents éléments ayant conduit à cet accident. Les conclusions ne sont, à ce jour, toujours pas connues.
Dès qu’elle le peut et qu’elle en a l’autorisation, à la fin octobre 2021, la S3V (société qui exploite la vallée de Courchevel ainsi que Méribel Mottaret), aidée par Poma et sa filiale Comag, procède à l’évacuation des 2 cabines désormais inutilisables. Il faut pour cela acheminer une grue de 130 tonnes jusqu’au sommet de la Saulire en passant par le versant Mottaret afin de pouvoir décrocher la cabine amont, opération qui sera répétée en gare aval avec un accès nettement plus facile.
Photo S3V
Il faut par ailleurs également retirer le câble tracteur, car le STRMTG considère qu’il représente un danger potentiel, ce qui pourrait interdire l’exploitation de la Combe de la Saulire, piste phare du domaine de Courchevel, s’il était laissé en l’état. C’est une course contre la montre qui s’opère alors car la station doit ouvrir le 4 décembre. Le câble est finalement remplacé par un câble plus fin qui permettra, au moment voulu, de tirer le nouveau câble tracteur
Un avenir incertain
Face à l’importance des dégâts, une réflexion est lancée quant à l’avenir de la desserte du sommet de la Saulire. L’abandon pur et simple de ce sommet est très vite mis de côté. En effet, il permet la liaison piéton 3 Vallées grâce à la connexion avec la TCD8 Saulire Express venant de Méribel, et il reste un symbole fort pour la station. Trois solutions sont alors envisagées :
- la démolition pure et simple avec la construction d’un appareil entièrement neuf
- une desserte directe depuis la Croisette par un appareil de type 3S
- une rénovation approfondie de l’appareil existant.
C’est finalement la 3ème option qui est retenue, pour budget de 10 millions d’euros, l’option 3S ayant pour inconvénient principal un changement d’axe nécessitant l’implantation de pylônes dans des zones relevant du PIDA (Plan d’Intervention pour le Déclenchement des Avalanches)
Après de très nombreux mois d’étude et de conception, rendus nécessaires par le caractère unique d’un équipement de ce type, les premiers travaux sont lancés dès l’automne 2023, et l’ouverture à la clientèle programmée pour le 7 décembre 2024
Quand le Phénix renaît de ses cendres
C’est donc un appareil à l’aspect inédit que découvriront les clients en ce début de saison 2024/2025.
Si les gares, le pylône et les câbles porteurs restent en place, tout le reste sera remplacé, à commencer par ce qui sautera aux yeux des visiteurs : les 2 cabines d’ores et déjà en construction dans les ateliers de Sigma à Veyrins (38), la filiale cabine de Poma, pour une livraison sur site au mois d’août 2024.
Photo S3V
Au niveau de ces véhicules, tout sera neuf : les chariots, les suspentes et bien sûr les cabines en elles-mêmes. Une innovation de taille (et de poids !) consiste en l’utilisation de verre feuilleté au lieu du traditionnel plexiglas qui présente l’inconvénient d’être sensible aux rayures ainsi que de jaunir avec le temps et l’effet des rayons du soleil.
Et du verre, il y en aura, puisque les cabines, seront entièrement vitrées, depuis 10cm au dessus du sol jusqu’au plafond, offrant une vue panoramique à couper le souffle, et conférant à l’ensemble une ligne épurée, aérienne et raffinée, semblant reprendre à son compte celle de la gamme premium Symphony, appliquée ici au téléphérique.
Photo S3V
Photo S3V
Photo S3V
A l’intérieur, deux maîtres-mots : modernité et modularité.
Modernité, car équipés des dernières technologies en terme de diffusion audio et vidéo, afin de pouvoir à terme diffuser de nombreuses informations comme, par exemple, des renseignements sur les panoramas environnants.
Photo S3V
Photo S3V
Photo S3V
Photo S3V
Photo S3V
Modularité, car l’espace intérieur pourra être adapté à la saison d’exploitation avec l’hiver des barres permettant aux skieurs de se tenir et de poser leur ski, et l’été, où les cabines sont traditionnellement moins remplies, des banquettes permettant à la clientèle de profiter de la vue dans un confort renforcé.
Photo S3V - Aménagement "été" (visuel non définitif)
Photo S3V - Aménagement "été" (visuel non définitif)
Photo S3V - Aménagement "été" (visuel non définitif)
Côté capacité, si celle-ci était fixée à 160 places en 1984, elle avait du être réduite à 142 places en 2010 lors de la rénovation électrique des armoires de commande car le téléphérique manquait d’inertie et qu'il s’agissait alors de se rapprocher des valeurs règlementaires de freinage. Problème qui devrait être totalement corrigé par la rénovation en cours. Mais la nouvelle conception des véhicules ne permettra pas pour autant de revenir à la capacité initiale pour des raisons de surcharge : la suspente fera 1 tonne de plus que la précédente, le chariot sera plus lourd et les vitrages pèseront également de manière significative sur le résultat final. Les nouvelles cabines devraient donc accueillir environ 140 personnes, car il est nécessaire de rester dans le poids enveloppe du véhicule chargé pour ne pas avoir à refaire la ligne : la pesée finale sera donc seul juge de paix !
Au niveau de la gare aval, d’importants travaux, invisibles du public, seront fait au niveau de la motorisation : les moteurs à courant continu seront remplacés par des moteurs asynchrones avec des volants d’inertie, tout comme les systèmes de freinage remplacés par 4 centrales et 4 pinces de frein FE100 (quadruple modulation). Il sera également procédé à la mise en place d’un groupe électrogène CUMMINS qui permettra de faire tourner un groupe hydraulique de secours.
Le système de pilotage sera lui aussi intégralement revu, avec l’installation de nouvelles armoires de commande et de puissance.
Concernant la gare retour, la centrale de tension du câble tracteur est d’ores et déjà en cours de remplacement, tout comme les quais de débarquement. Les haubans de gare (qui est, comme à Val Thorens une gare suspendue) seront sécurisés, et les sabots réparés.
En revanche, aucun travaux ne seront réalisés sur la ligne, ni sur les câbles porteurs.
Conclusion
C’est un bel appareil que Courchevel et la S3V s’apprêtent à offrir à leur clientèle, au terme d’une longue réflexion et d’un chantier complexe. Projet d’autant plus remarquable que la construction d’un nouveau téléphérique est finalement assez rare, même s’il ne s’agit ici « que » d’une rénovation approfondie.
Rendez-vous donc en décembre 2024 sur les pistes de la célèbre station savoyarde pour découvrir cette nouvelle expérience qui s’annonce bluffante et qui devrait conquérir à n’en pas douter la clientèle de l’ensemble des 3 Vallées.
Photo B.Détard
Texte : Benoît Détard